Fiche-lecture - Mythocratie – Yves Citton
Mythocratie
Storytelling et imaginaire de gauche
Yves Citton
Éditions Amsterdam, 2010, 221 pages.
«Ce qui reste du mythe lorsqu’il est interrompu, ce sont peut-être les voix de fragiles épopées minoritaires qui nous apprennent à vivre dans un éternel chantier – étranger à la paix des achèvements ultimes (qui ressemble sans doute trop à celle des cimetières), mais toujours ouvert aux réagencements que saura imaginer notre pouvoir de scénarisation. » p.169.
Cette fiche de lecture a été rédigée dans le cadre de la recherche-action que je mène actuellement, les propos de la section « commentaires personnels » sont, au départ, destinés à mes collègues de promotion. Néanmoins, je pense que cette fiche de lecture peut s’adresser au plus grand nombre pour une première découverte du contenu du livre.
L’auteur
Yves Citton est professeur de littérature à l’université de Grenoble 3 Stendhal et membre de l’UMR LIRE (CNRS 5611). Il a publié aux Éditions Amsterdam : L’Envers de la liberté. L’invention d’un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières (2006) et Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ? (2007). Il est membre du collectif de rédaction de la revue Multitudes et collabore régulièrement à La Revue Internationale des Livres et des Idées. [Présentation 4ème de couverture]
Le livre
Ce livre fait 221 pages et est paru aux Éditions Amsterdam,
éditions dont un des premiers objectifs est d’assurer la traduction et
l’édition d’ouvrages de philosophie, d’histoire et de sciences
sociales.
Ce livre est composé de :
– une introduction
– sept chapitres
– deux intermèdes : un illustratif et un littéraire
– remerciements
– une bibliographie
– un index
– une table des matières détaillée
Propos de l’ouvrage
Avec cet ouvrage Yves Citton pose comme enjeu pour la « gauche » –
et pour tout ceux qui portent les valeurs de cette « gauche » –
d’aller chercher ce qui fait défaut à notre fonctionnement «
démocratique » actuel du côté des mythes – au sens étymologique
grecque (parole) comme à son sens moderne (histoire à vocation
fondatrice) – et du « pouvoir de scénarisation ».
Dans la première partie (deux chapitres) du livre, Yves Citton
s’emploie à nous définir la société (notamment mass-médiatique) à
partir du « doux pouvoir » (soft power) en s’appuyant sur
Spinoza, Tarde et Foucault.
Pour, dans une seconde partie, s’attacher à définir cette notion de
mythocratie à travers notamment le concept de storytelling, le pouvoir
de scénarisation où la trame narrative ou encore même le cadre
narratif (frame) qui conditionne nos comportements.
Enfin, après avoir posé tous ces concepts, c’est dans une dernière
partie qu’Yves Citton nous invite à s’appuyer sur le « doux pouvoir »
pas tant pour le condamner mais plutôt pour « en tirer des instruments
d’émancipation ».
En faisant appel au collectif d’auteurs Wu-ming, à l’artiste Sun Ra ou
encore au philosophe Walter Benjamin, il nous propose « de [nous]
doter d’un imaginaire politique reformulé, qui définisse de nouvelles
tâches, de nouveaux modes d’interventions et de nouveaux styles de
paroles ».
Commentaires personnels
Deux parties se distinguent fortement dans ce livre. Dans une
première, composée des trois premiers chapitres, Yves Citton pose les
théories, les concepts et les définitions sur lesquels s’appuie la
réflexion qu’il expose tout du long de cet ouvrage. Cela donne une
partie longue, difficile d’accès et frustrante parce que nécessaire
pour comprendre la seconde. Dans la seconde partie composée des deux
derniers chapitres on entre dans la proposition d’agencement
démocratie/mythocratie que nous fait Yves Citton et c’est tout de
suite plus concret et motivant.
Il y a pour moi une lacune en termes de définitions préalables à la
lecture de cet ouvrage, celle de la « gauche » dont parle Yves Citton
dès le sous-titre (« imaginaire de gauche »). C’est également cette «
gauche » qui est interpellée dans ce livre et ce sont ceux qui s’en
revendiquent qui seraient censés être intéressés par ses propos. Je me
méfie toujours des mots valises qui, sous couvert d’englober une
multitude, épargnent à celui qui écrit une introduction/définition qui
permettrait de (re)poser quelques valeurs comme préalables. Sans
compter le caractère « connoté/galvaudé » actuel de ce terme qui peut
rebuter plus d’une personne (dont moi) dès la couverture.
Pour ce qui est des intermèdes, le premier qui se veut illustratif ne
m’a pas du tout attiré, sûrement dû à l’exemple choisi qui s’appuie
sur Jacques le fataliste de Diderot. Quant au second, qui est
l’intermède littéraire, Yves Citton vient chercher des exemples
d’aujourd’hui (wikipédia, les journaux télévisés) tout en faisant
appel au philosophe Walter Benjamin avec son ouvrage Le conteur et au
collectif d’auteurs Wu Ming et leur travail sur l’anonymat, le rôle
politique de la littérature et des récits en général.
C’est dans cet intermède qu’est amené une vision de la mise en récit
autour de l’épopée, style littéraire et politique revendiqué par le
collectif Wu Ming et de l’art de conter qu’il y aurait comme enjeu à
(re)trouver.
« Ces récits sont épiques parce qu’ils ont pour objet des faits historiques ou mythiques, héroïques ou de toute manière aventuriers : guerre, anabases, voyages initiatiques, luttes pour la survie, toujours à l’intérieur de plus vastes conflits qui décident du sort de classes, peuples, nations ou mêmes de l’humanité toute entière, sur fond de crises historiques, catastrophes, formations sociales au bord de la rupture. […] L’épopée permet d’avoir un horizon très vaste. Elle permet de raconter des histoires où sont les multitudes, où il y a les conflits, où il y a des dynamiques complexes. » (Wu-Ming) p.167.
« l’art de conter est en train de se perdre. Il est de plus en plus rare de rencontrer des gens qui sachent raconter une histoire. […] C’est comme si nous avions été privés d’une faculté qui nous semblait inaliénable, la plus assurée entre toutes : la faculté d’échanger des expériences. » (Walter Benjamin) p.141.
Cet intermède m’a marqué car il m’aide à poser les enjeux d’une
production de traces à travers une capacité/un besoin de raconter et
en m’apportant un regard philosophique et littéraire-politique qui
vient éclairer la jonction incomplète entre mes motivations de
terrains/de pratiques et ma démarche de recherche.
Au delà de cet intermède qui vient enrichir le contexte et la théorie
de ma recherche-action, c’est tout une grille de lecture qui peut être
extraite du livre. Yves Citton passe du macro (doux-pouvoir) au niveau
micro (mythes/épopées« Le mythe ne peut pas être évoqué artificiellement –
comme ça, parce que quelqu’un l’appelle. Il doit naître de la réalité,
par en bas. Il doit y avoir un moment de spontanéité. Les narrations
partagées qui naissent toujours dans les mouvements sociaux n’ont
jamais été projetées d’en haut – sinon ce sont seulement des
instruments de propagande. Elles se forment parce qu’elles émergent
d’une réalité sociale et que quelqu’un a été capable de travailler
dessus. » (Wu Ming) p.162.
) en nous détaillant les mécanismes de pouvoir/puissance
(potestas/potentia) par la scénarisation. Autour de cette
scénarisation, il décrit, définit, tous une chaînes de concepts
(frame, props, rétentions tertiaires…) qu’il serait difficile
de décrire ici mais qui pourrait m’aider à construire une grille de
lectures des traces d’expériences collectives que je suis dans le
cadre de ma recherche.
Compléments
Le collectif Wu Ming pratique le principe de copy
left, c’est à dire que pour chaque livre qui est édité et mis en
vente, ils existent une copie en ligne gratuite.
http://www.wumingfoundation.com/italiano/francais_direct.htm
Pour poursuivre sur les propos de Wu Ming :
– Wu
Ming : La narration comme technique de lutte – Article / Revue des
débats
– «
Si le pouvoir impose son récit, nous devons rétorquer avec mille
histoires alternatives » Interview / Journal Article XI
– New
Italian Epic – Wu Ming 1