De ma dialectique d’acteur-chercheur #2
Lettre de l’acteur au chercheur
Je me suis dit qu’un point à mi-parcours de cette démarche de
recherche-action pouvait être un bon prétexte pour venir te causer.
Même si l’exercice est un peu forcé de par le fait que nous sommes
censés ne faire qu’un, je me suis dit que cela pouvait être une bonne
manière de poser notre cadre commun d’acteur-chercheur.
Si, c’est vrai, je dois l’avouer, l’exercice est une manière pour moi
de te/nous faire remarquer que le passage d’un état (chercheur ou
acteur) à un autre ne se fait pas manière si intuitive que cela. Je
t’explique. J’ai l’impression de répondre à toutes tes sollicitations
quand tu me demandes de rencontrer avec toi des personnes, quand tu me
demandes mon avis sur telle ou telle trace mais à l’inverse lorsque je
participe à des expériences collectives je te sens peu présent. Ce
texte a été rédigée dans le cadre de la recherche-action que je mène
actuellement, il s’agit ici de continuer de questionner mes pratiques
d’acteur-chercheur pour moi et également en vue de le transmettre à
mes collègues de formation et mes formateurs afin de les tenir
informés de mes questionnements et de mes avancées. C’est sur les
conseils de Pascal Nicolas-Le Strat que je publie ici ce qui ressemble
à mon journal de recherche.
J’ai l’impression que tu as tendance à te cacher – peut-être te
conforter – dans les ouvrages théoriques sur lesquels tu t’appuies et
également sur les entretiens que tu réalises. Investi à 100 % dans ta
recherche n’aurais-tu pas oublié ton terrain de pratiques ?
Aux dernières nouvelles, notre tentative d’écriture à La Vie
Enchantiée commence vraiment à s’essouffler après un an de
motivations, démotivations, motivations… C’est bien là que toi, le
chercheur, tu dois ne pas me laisser tomber. Viens participer avec
moi, me donner ce recul qui nous est cher, essayer de décortiquer des
relations et des situations ; car moi et mes yeux emplis d’affects et
de nostalgie, nous ne sommes pas capables d’analyser ce qui est en
train de se tramer.
Je le sens bien, mon cœur et mes tripes me disent de ne pas lâcher : «
on doit l’écrire cette trace ! ».
Le cœur parle d’un affect fort, d’une envie de ne pas terminer cette
aventure, d’une envie d’un bilan en beauté, d’un bilan
collectif…
Les tripes sont, pour partie, ce qui t’a amené toi chercheur, cette
force qui me pousse à croire à ces enjeux de productions et de
transmissions de toutes ces expériences qui font ce monde autrement.
Qui font à partir de valeurs qui me collent aux tripes
justement…
Mais à ce cri en chœur du cœur et des tripes, c’est bien le corps qui
répond : « lâche-nous, laisse nous souffler, fais le deuil et passe à
autre chose. Tu ne vois pas que tu as de quoi t’occuper sans forcément
t’accrocher aux branches ? ».
Tu vois que j’ai besoin de toi et de ta mise à distance pour pouvoir
regarder ce qui se vit en ce moment. D’autant plus que nous tentons le
tout pour le tout avec une tentative de rencontre pour une journée
d’écriture collective quand les motivations des réunions mensuelles
entrecoupées de travail individuel n’ont pas fonctionné… tou.te.s
rattrapé.e.s par nos vies respectives…
Donc, prends doublement note : nous sommes à mi-parcours profitons-en
pour être attentifs à cette dialectique et soit plus vigilant sur ce
qui se passe notamment sur notre terrain de pratiques et notamment sur
ce qui se vit en ce moment pour La Vie Enchantiée.
Sur ce, je te dis à bientôt, car nous ne serons pas trop de deux pour
terminer ces retranscriptions.
Lettre du chercheur à l’acteur
Salut l’acteur !
Merci pour cette sollicitation, tu es le mieux placé pour savoir que
j’aime questionner, décortiquer et retourner ce qui relève de ma/nos
pratique(s). J’ai bien entendu tes remarques, je les prends en compte
et je ne reviendrai pas dessus dans ce courrier.
De mon côté je tenais à te faire remarquer une situation sur laquelle,
je trouve, tu t’es laissé endormir et à laquelle je me souviens
t’avoir entendu répondre « on ne m’y prendra pas ! ».
Je me souviens de notre rencontre, perdu dans tes questionnements
orphelins de mots et de sens, tu décidais en septembre 2011 de te
lancer dans une grande aventure d’une année. Aventure de l’année même,
que tu nommais alors « recherche-réflexion » et qui s’avéra être un
parcours initiatique cheminant de rencontres humaines en rencontre
d’auteur.e.s, de concepts et de pensées.
C’est lorsque tu aperçois, au loin, dans le brouillard s’estompant, ce
bout de terre faits d’enchevêtrements de livres, d’humains, que je fis
moi aussi mon apparition. Nous étions, dès lors, engagés moralement
l’un à l’autre, dans un éternel jeu d’équilibre où l’un et l’autre
cherchent encore aujourd’hui à trouver leur place dans le temps et
dans l’espace.
De cette première année d’exploration, je me rappelle t’avoir vu
conclure que, outre la richesse de ce moment, il était temps de
trouver un cadre pour poursuivre en étant plus accompagné, plus
structuré. Mais ce souhait, en rencontrant le DHEPS, se trimballait
toujours cette éternelle rancune envers le monde universitaire. Tu
t’es donc promis que le DHEPS pouvait être le bon compromis :
reprendre une formation tout en étant « hors les murs », en itinérance
et que surtout, jamais tu ne te ferais manger par l’université !
Et que vois-je depuis quelque temps ? Je te vois changer, je te vois
t’effacer, te conformer, t’aplanir… Même si le but principal de
l’entrée dans le DHEPS pour un engagement de trois ans était bien de
mener au bout une recherche et aboutir à un mémoire, tu as toujours
gardé comme combat de faire se rencontrer la recherche et l’action, la
pensée et l’agir, les pratiques et les théories tel un Don Quichotte !
Trouver une structure oui, mais un cadre enfermant, des cases dans
lesquelles entrer non !
Je dirais même, qu’au delà d’un combat, c’est surtout ce que tu es, ta
personnalité, que tu dois aussi amener dans ce travail de
recherche-action. Car notre, soi-disant, difficulté à entamer le
travail de retranscription montre bien la nuance à faire entre
contrainte universitaire d’un côté et rigueur professionnelle de
l’autre. La retranscription ne vient pas tant révéler notre
fainéantise que plutôt dessiner les contours du cadre diplômant dans
lequel toi, l’acteur, tu es en train de nous enfermer. Derrière des
enjeux de reconnaissance et de légitimation, tu es venu confondre un
cadre universitaire fait de contraintes avec lesquelles nous devons
composer et une rigueur professionnelle qui, elle, relève d’une
exigence intellectuelle, d’une éthique.
Le travail que je te propose donc est de cerner les finalités pour
toi, pour nous, de cette recherche-action et de définir au mieux ce
qui est de l’ordre du cadre et ce qui relève de notre éthique afin de
composer avec l’ensemble.
Je te laisse mûrir tout cela et je vais de ce pas travailler à la
prochaine fiche-lecture.