La Gazette - Itinérance et correspondance en recherche 2013-2015
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Dans le cadre du DHEPS du Réseau des Crefad, nous nous
rencontrons environ une semaine tous les deux mois. À cela s’ajoute le
principe d’itinérance qui nous amène, d’une part, à ne jamais nous
retrouver au même endroit et, d’autre part, à nous extérioriser de
notre territoire de pratiques et de vie.
Les co-formateurs de cette recherche-action, qui dure sur trois
ans, nous proposent comme cadre de mise au travail d’écrire dans les
entre-deux de chaque session. D’abord, écrire dans le sens de la
production de la recherche, mais aussi écrire dans la correspondance
et l’échange avec nos collègues de promotion. Dès le début, il s’agit
de nous mettre dans une démarche d’écriture venant nourrir directement
(ou indirectement) le mémoire final. Ensuite, il s’agit aussi de
mettre cet écrit au travail dans les échanges qui s’opèreront entre
nous au sein de la promotion.
Cet article a été publié sur la partie « École
mutuelle » des Fabriques de sociologie. Veuillez cliquer ici pour
télécharger ce texte en PDF et pouvoir
consulter deux gazettes.
Ces textes d’entre-deux prennent deux formes, en suivant toujours
la proposition des coformateurs : une première intitulée «
fiche-lecture » où il s’agit de présenter un contenu dont nous avons
pris connaissance (livre théorique, littérature, vidéo, film,
documentaire…) tout en le reliant à notre travail en cours et en
regardant comment cela résonne/raisonne avec celui-ci ; une seconde
forme est celle du « texte témoin », texte qui relate nos réflexions
de chercheur-acteur, allant d’un état d’esprit du moment, à la mise en
mot de questionnements en passant par l’explicitation de concepts et
théories.
Bon an, mal an, nous avons eu, tou.te.s sans exception, des périodes
plus ou moins propices à toutes ces pratiques ce qui a donc donné
différents rythmes dans la production d’écrits au sein du groupe.
D’autant plus, il me semble, que nous n’avons jamais vraiment
entrepris de correspondance à proprement parler : dans l’idée d’un
échange régulier impliquant plusieurs allers-retours entre au moins
deux personnes. Nous nous sommes sagement, et si j’ose dire «
scolairement », tenus à la consigne de produire (plus ou moins
régulièrement) les deux formes de textes demandées.
Les échanges, par contre, ont souvent eu lieu – et ont porté leur
fruit – dans nos travaux respectifs à partir des retrouvailles
physiques autour des semaines de regroupement bimensuelles.
Loin de moi l’idée de poser un jugement quelconque sur les pratiques
des un.e.s et des autres ainsi que des coformateurs, il s’agit
seulement de me mettre au travail pour essayer de comprendre quelles
dynamiques de travail s’opèrent et notamment quels intérêts j’y
trouve.
J’ai tout de suite porté un premier intérêt à ces temps d’écriture
hors rencontres dans l’idée de renouer avec une pratique d’écriture
que j’avais, depuis plusieurs années, mise de côté. Mais j’y ai
également trouvé un intérêt dans le travail d’un commun au sein de
notre promotion. Ma vision d’un travail de recherche, et plus
particulièrement de recherche-action, se trouve dans une dialectique
de l’individuel et du collectif : nourrir mes espaces d’écriture et de
temps de travail personnels tout en mettant en critique mon processus
et mes questionnements auprès de personnes partageant le même cadre de
travail tout en ayant des singularités propres à leurs sujets de
recherche. Il en va de fait, dans la mise en collectif, que cette mise
en critique marche dans les deux sens, je me mets au travail en regard
des réflexions de mes collègues.
C’est dans ce cadre-là, qu’il m’a semblé opportun de venir provoquer
cette espace en friche que sont les correspondances et en ayant pour
point de départ nos textes respectifs. C’est au bout de la première
année de cette recherche-action que j’entreprends de questionner nos
formes d’envois de textes. Le premier constat est que nos textes sont
conséquents, à proprement parlé ceux-ci peuvent aller d’une page à une
dizaine, mais c’est aussi la quantité cumulée de tous nos textes
lorsque nous sommes huit dans la boucle. Le second, comme évoqué
précédemment, est que nos échanges sont assez unidirectionnels : une
personne envoi ses textes aux autres. Je remarque, pour ce qui me
concerne, car je ne fais aucunement défaut à cette règle, qu’il m’est
plus facile d’attraper un texte et de le travailler si celui-ci est
venu attiser ma curiosité et mon intérêt. Il me vient alors l’envie
d’enrober mes propres textes dans une forme de récit qui permet de
raconter une histoire tout en donnant sous la forme de chapeau les
éléments-clés des différents questionnements et sujets que je traite
dans mes textes. En passant, cela m’a été bénéfique dans
l’apprentissage de l’écriture, pas toujours aisée, du résumé. Pour
mener à bien cette expérimentation de forme, j’utilise ce que je
connais déjà à travers l’outil numérique et un format que j’ai déjà
pratiqué dans un métier précédent : la gazette. Dans mes défis, il
s’agissait, pour moi, de faire tenir en une page A4 des petits textes
et une identité reconnaissable et reproductible de ce support. Pour
celle-ci, il s’agit avant tout d’un bandeau d’en-tête, d’une couleur
unie pour tout le document, et d’une présentation des textes sous la
forme de deux colonnes. Le format de reproductibilité à son
importance, nous le verrons plus loin dans l’idée d’une incitation à
l’appropriation.
J’ai conçu cette gazette comme une « porte d’entrée » amenant à mes
autres travaux et notamment mes textes. J’ai pour cela mis en place
des catégories récurrentes pour chaque numéro :
— un texte introductif et contextuel intitulé « édito »,
— un texte plus personnel intitulé « comment va la vie ? »,
— un ou plusieurs chapeaux présentant chacun un texte que j’ai
produit,
— une catégorie libre ou je pouvais, en fonction des périodes, passer
une annonce pour proposer d’aider mes collègues sur l’installation et
l’utilisation d’un logiciel de retranscription, signalé un événement
ou une ville où je serai présent…
Tout cela, bien évidemment, devant tenir sur une page A4. L’idée
d’une seule page étant dans l’idée de travailler le caractère «
simple-à-faire » et « simple-à-lire » tout en me faisant travailler
sur ma pratique de la concision.
L’en-tête elle aussi jouait dans la sobriété : un titre « la gazette
du DHEPS », un sous-titre « #Benjamin » et un encadré indiquant le
numéro de celle-ci, le mois et l’année de publication.
Cette mise en forme sert deux possibilités toutes deux inscrites dans
le temps : que j’investisse cette première gazette en en rédigeant
d’autres de manière régulière (ce que je n’avais pas du tout acté lors
de la création de la première) et que chacun.e de mes collègues
puissent se l’approprier pour en produire une, s’ils et elles le
souhaitent.
Pour ce qui est de la première gazette, datant de décembre 2013, je
décide de l’imprimer et de l’envoyer en version papier par courrier à
tou.te.s mes collègues afin d’en faire un acte symboliquement fort :
celui de « déconnecter » mon appel à correspondance. À la nuance près
où je les invite à aller lire de manière numérique les textes cités
dans ce premier numéro.
À la fois par les retours positifs de mes collègues, mais surtout par
le travail d’écriture dans lequel cela m’engageait, j’ai décidé de
continuer, à un rythme d’une gazette tous les deux mois environ et,
par contre, de manière totalement numérique pour les suivantes. Le
dernier numéro étant la gazette numéro huit et en date d’avril 2015.
Cet exercice s’est donc déroulé sur quinze mois.
Cette expérience a été significative dans cette période de recherche
et ce à plusieurs niveaux : comme évoqué précédemment de manière
personnelle dans ma pratique de l’écriture (facilité, régularité,
concision…), mais aussi de manière collective dans ce que je pourrais
qualifier de « mi-succès » car au-delà d’une explosion de
correspondances et de gazettes qui n’a pas eu lieu, c’est par contre
différentes réactions éparses (e-mail pour signaler que la personne a
bien lu ma gazette, des réactions à chaud par e-mail plus longues, des
réactions à froid et approfondies dans des temps de travail en
présence…) qui, il me semble, ont aidé à construire une relation
interindividuelle et collective plus forte autour de mes
questionnements et de nos travaux respectifs.
Cette « aventure de la gazette » fait partie des différents
dispositifs que j’ai pu mettre en place durant ces trois années, en
plus de ceux proposés par les coformateurs, comme un journal de
recherche et la réalisation d’une collection de photographies
argentiques prises dans les différents endroits par lesquels nous
sommes passés.