Dissidence et réappropriation – Pratiques d’écriture et publicisation numérique

J’ai quitté les réseaux sociaux (numériques on s’entend) :

  • 2012 : Facebook,
  • 2021 : Twitter,
  • Juin 2022 : Instagram.

Cela fait un bon moment que j’y pense, comme beaucoup d’entre nous. Cela fait trois mois que je prépare ce départ. Dissidence et réappropriation pour investir les termes proposés par Bertrand Louart dans son très bon essai Réappropriation ; Jalons pour sortir de l’impasse industrielle (La Lenteur, 2022).

« Dissidence »

Bien entendu, ce geste je l’ai avant tout fait pour moiFabrice Luraine m’a partagé un texte (du 01/11/2022) écrit par le blogueur Ploum à propos de son départ de Twitter après la récente acquisition du réseau social par Elon Musk et tout ce qui a suivi. Je me retrouve assez dans son propos, je propose donc une prolongation de mon article avec le sien : La légèreté d’un monde sans Twitter.

. Dans un monde en accélération où tout est urgence, j’ai envie d’y répondre par une forme de productivité de l’engagement : tout brûle, il faut tout éteindre. Et vite. Les réseaux sociaux n’aident en rien : « ah tiens telle nouvelle injustice », « tiens une proposition pour un évènement », « oh un livre que je n’ai pas encore lu », « sympa cette vidéo de chat qui glisse sur du verglas », etc. Il paraît que c’est même en train de devenir un mal de notre temps. Donc avant de devenir fous, coupons tout. S’il y a bien une expression qui ne veut rien dire mais qui a pris tout son sens avec les industries numériques c’est « Le temps c’est de l’argent ». Notre temps est leur argent. L’économie de l’attention versus l’écologie de l’attention (Citton, Pour une écologie de l’attention, 2014). Depuis plusieurs années, en fait depuis 2016 et la naissance de mon fils et celle des éditions du commun, je manque de temps pour deux choses que j’aime faire : lire et écrire. Vous sentez pointer l’ironie de la chose ? Bien sûr que je lis (des manuscrits), bien sûr que j’écris (des e-mails et des 4e de couverture). J’ai fait le tour de mes journées, qui ne font toujours que 24 h, et l’évidence était là sous mes yeux : en quittant les réseaux sociaux je récupère 7 heures par semaine de disponibilité. Bon, on ne va pas se mentir, 7 heures de passivité sur Instagram ne donnent pas 7 heures actives à lire et écrire. Je n’ai pas encore l’échelle de conversion, mais je vous en reparlerai.

Bien entendu, ce geste je l’ai avant tout fait pour les autres.

« C’est dans ce sens que nous disons que la dissidence doit s’organiser : conférer un contenu politique à ses diverses activités et, sur cette base, inviter tous ceux qui souhaitent déserter le monde tel qu’il ne va pas. »
Bertrand Louart, Réappropriation, La Lenteur, 2022, page 121.

J’aurais très bien pu supprimer sans un mot mon compte. Ce n’est pas le cas. J’ai orchestré modestement mon départ et ce pour deux raisons.

  • D’abord faire signe d’une continuité de mes publications pour les quelques personnes qui me suivaient et leur mentionner où dorénavant me trouver et me lire.
  • Ensuite, faire dissidence : storyteller mon départ, expliquer mon geste. Faire et raconter, raconter pour faire.

Réengager du temps d’écriture et faire signe sur une nouvelle forme de publication : le moment était venu de prendre à bras-le-corps mon site internet.

« Réappropriation »

« Pour paraphraser Arendt : savoir et comprendre ce que nous faisons, tel pourrait être en résumé le thème central de la démarche de réappropriation. »
Bertrand Louart, Réappropriation, La Lenteur, 2022, page 136.

Bertrand Louart, par cette citation d’Hannah Arendt, nous propose de sortir du capitalisme industriel en regardant, individuellement et collectivement, nos pratiques et en nous posant cette question : avons-nous la main sur les techniques et savoirs qui nous accompagnent ? J’ai pris son invitation à la lettre concernant mes pratiques d’écriture, comprenant celles intellectuelles et de recherches les accompagnant de fait. Dans une démarche de réappropriation de celles-ci je ne peux détacher le fond de la forme. Les formes sont principalement de deux types :

  • de papier (livres, brochures, etc.),
  • mais aussi, et c’est ici que vous me lisez, d’ordre numérique.

À cet endroit, je sais que la proposition de Bertrand Louart catégorise plutôt l’informatique et le numérique du côté des techniques et savoirs complexes, difficiles si ce n’est impossible à se réapproprier. Même si dans son ouvrage il n’est pas aussi explicite à ce sujet, je connais assez bien la pensée éditoriale de La Lenteur à ce sujet pour ne pas me tromper en disant que ce qui va suivre s’éloigne de leurs propositions.

Afin de réengager mes pratiques d’écriture je me dois de penser leur diffusion et j’ai clairement choisi d’intégrer la publication informatique et sur internet comme une des possibilités. Pour ce qui est de la partie informatique (hardware, matériel et software, logiciel), je reconnais volontiers que la tâche (m’)est complexe et je propose de réserver ce sujet pour un prochain texte. Concernant la partie numérique, c’est ce dont il est question ici concernant le site sur lequel vous lisez ce texte. Je suis accompagné depuis trois mois par mon ami Fabrice Luraine pour repenser et maîtriser l’ensemble du processus, de l’écriture à la mise en ligne. Cela commence par l’apprentissage de la syntaxe Markdown, langage simple et lisible qui permet à partir de ses éléments ajoutés en cours d’écriture – pour marquer les italiques, citations, niveaux de titres, notes de bas de page ou URLs – de rendre le texte facilement convertible en HTML (pour le site internet), ePub ou encore PDF, et d’y appliquer une mise en forme aussi sobre soit elle. Une fois les textes préparés, l’étape suivante a consisté à se séparer de WordPress, CMS sur lequel tournait le site précédent, surdimensionné pour mes usages et ajoutant une couche entre le texte et sa diffusion sur laquelle il y a bien longtemps que je n’avais plus la main. En lieu et place Fabrice a préparé un outil qu’il a nommé Pan Pan Pan ! et qui me permet en quelques lignes de commandes dans un terminal de convertir mes textes et de les générer automatiquement sous tous les formats pour les envoyer enfin sur mon hébergement. Je ne détaille pas plus cette partie, car il sera plus évident de vous la présenter en réalisant un entretien avec Fabrice qui permettra de comprendre le travail qu’il mène, la pensée critique qu’il développe à ce propos et les expérimentations que nous menons ensemble. Une chose est sûre : je me suis réapproprié une grande partie du processus et je sens déjà le cercle vertueux opérer : une meilleure prise en main de la forme stimule le fond et ma pratique de l’écriture.

Je vous laisse avec une dernière citation de Bertrand Louart, en attendant de faire sûrement une fiche de lecture :

« La mise en commun et la publication de ces expériences, de la discussion des analyses qui en sont faites permettent de dépasser les limitations de chaque expérience particulière (par d’autres rencontres, une association plus large, etc.), de développer une critique plus précise, incisive et radicale des obstacles et des entraves que met la société industrielle à la liberté et l’autonomie de chacun, et par là, progressivement, de constituer un espace public où puissent s’élaborer d’autres pratiques, d’autres rapports sociaux et se construire notre projet politique. »
Bertrand Louart, Réappropriation, La Lenteur, 2022, page 137.

PS : Le site est encore en chantier, je chasse les bugs, coquilles et surtout j’affine l’agencement de son contenu. Toutes vos remarques sont les bienvenues : bonjour@cultivateurdeprecedents.org