--- title: Le prix (pas si) unique du livre author: Benjamin Roux date: 2 novembre 2022 ... Cela pourrait être un énième exemple de l’écart toujours aussi flagrant entre les « grands » et les « petits » qui ne vaudrait pas la peine d’être conté, mais ça va mieux en le disant. Il est difficile d’être passé à côté de l’inflation qui touche tous les aspects de notre vie depuis le début de l’année. Fait plus étonnant, alors que les coulisses du monde du livre sont souvent obscures pour le commun des mortels (qui possède quoi, non les éditeurs ne sont pas des graphistes ou imprimeurs, oui les auteur.ices ne peuvent aujourd’hui vivrent de leur travail), le fait que tout le secteur subit, si ce n’est une explosion du coût du papier, voire une pénurie, et fortement relayé dans les médias et connus de tout un chacun. L’on peut dès lors se douter qu’une telle situation va se répercuter de manière inégale en fonction de si l’on est une grande ou une petite structure éditoriale. Mais qui aurait pu anticiper que nombre de grands maisons d’édition se serviraient de ce contexte pour continuer d’outrepasser, si ce n’est démonter, la ["Loi Lang"](https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_au_prix_du_livre) et son prix unique ? Celle-ci stipule qu’« un livre neuf vendu en France doit avoir un prix unique fixé par l’éditeur, qui doit être imprimé sur la couverture du livre ». Et pourtant, cela n’a pas empêché, ceux qui en ont les moyens, de répercuter cette hausse sur des livres déjà imprimés et déjà en circulation. Je n’ai pas besoin de les citer, ils sont reconnaissables par les petites étiquettes au dos de leurs ouvrages dans toutes les librairies. Vous voulez savoir quel est le comble de cette histoire ? Ces grandes maisons d’éditions qui contreviennent à la loi, le font sur le temps bénévole des libraires qui ont à charge, d’une part de ré-étiqueter les livres et d’autre part, de faire la médiation nécessaire auprès de leurs habitué.es sous peine d’être aussi en première ligne des incompréhensions des lecteurs et lectrices qui voient le coût de leur lecture augmenter sous leurs yeux. Même sans connaître forcément les précisions de la Loi Lang, personne n’est dupe quand une petite étiquette blanche vient cacher un prix sur une couverture. Et oui il s'agit bien un travail bénévole pour les libraires dès lors que cela sort de leur prérogative et que cela vient à eux et elles de manière imposée. Si je reviens à cet écart entre les gros et les petits, il est assez évident de parler de double peine. Ce sont ces mêmes grands qui s’arrogent le droit d’outrepasser les règles collectives et de fluidifier les fluctuations du coût de la vie, qui ont aussi les trésoreries assez solides pour acheter et stocker du papier en amont des augmentations. Vous voyez venir l’effet pervers : toutes ces petites maisons d’éditions qui ne répercuteront au mieux l’augmentation que sur des futurs livres ou des réimpressions (et non sur l’étiquetage des libraires) n’ont que pour seule possibilité de constater, à chaque devis de l'imprimeur, les prix gonfler et leur marge diminuer. En décembre 2021, un devis imprimeur était valable six mois sur la fabrication et le papier, aujourd’hui nous avons des devis valables au mieux un mois sur la fabrication et moins de 24 heures sur le prix du papier. Il me sera rétorqué, à juste titre, que les affronts faits à cette Loi « du prix unique » ne sont pas d’aujourd’hui. Que les secteurs du livre de poche et de la bande dessinée notamment, n’ont pas attendu le contexte actuel pour remplacer les prix par des « codes » qui renvoient à de subtils tableaux plus ou moins affichés en librairie et qui permettent ainsi de revoir les prix de manière régulière sans toucher à la couverture du livre. Malin. Où sont les levées de boucliers ? Pourquoi si peu de libraires se plaignent de se faire les petites mains bénévoles des grosses structures éditoriales ? Où sont les institutions ? Les syndicats et autres ministères ? Certes on pourrait dire que je fais tout un foin pour quelque chose de plutôt anecdotique. À chaque fois que j’entends ce genre d’argumentaire je ne peux que repenser à cette histoire de la grenouille dans l’eau chaude : si on la plonge dans l’eau bouillante elle saute de suite de la casserole, alors que si on l’y met à température ambiante et que l’on monte tranquillement le gaz, celle-ci y restera tranquillement en n’accordant que peu d’importance à ce qui lui arrive.